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Photo du rédacteurAlain Mihelic

Théophanie ; Baptême dans l’eau glacée

Dernière mise à jour : 15 oct.


Baptême dans l’eau glacée, on est loin de l’eau du Jourdain :


Dans la nuit du 18 au 19 janvier, l’Église orthodoxe russe célèbre la fête de la Théophanie (en russe Krechtchénié), le Pope béni l’eau en y plongeant le crucifix.

À partir de ce moment et pour les 24 heures qui suivent, l’eau dans tous les bassins – et plus tard, celle du puits et du robinet – est considérée comme sainte. Elle sert à se laver, à boire et on en remplit des récipients pour en ramener chez soi, afin de protéger la maison et soigner les malades.


Après tout, un petit shot de bénédiction, ça ne se refuse pas !


théophanie, sanctification de l'eau
Sanctification de l’eau

Ce rite s’accompagne, dans la nuit suivante, de baignades dans le «yordan» (un trou en forme de croix, percé dans la glace) en souvenir du Baptême du Christ dans le Jourdain.


Cette tradition remonte apparemment aux temps du pré-christianisme, chez les peuplades Scythes (Voir Article « Art des Steppes ou Art Nouveau »).

Theophanie, le Yordan
Yordan en grand apparat

La fête de Théophanie est le pendant orthodoxe de la fête de l'Épiphanie chez les catholiques, mais ici la ferveur populaire va nettement plus loin que la simple dégustation d’une galette.



Embouteillage :


En vingt ans, le nombre des prétendants à la baignade est passé d'ultra-confidentiel à une démonstration non seulement de mode, mais aussi de force. À Ostashkovo près de chez nous, l’église de la résurrection, lieu de pèlerinage assez reconnu, accueille sur les berges du lac-réserve d’eau, une foule de plusieurs milliers de baigneurs entre minuit et trois heures du matin.


Vous pouvez imaginer la noria de voitures, passablement mal garées, sur une petite route de campagne à deux voies.

Un retour tardif de la grand-ville, nous a fait tomber dans ce traquenard de l’embouteillage. Il nous a fallu une heure, pour parcourir les deux kilomètres entre le lieu de culte et notre maison, à cause de l’insouciance, de la désinvolture, et parfois de l’outrecuidance des culs bénis, qui se sentant en nombre et en force, ne respectent plus rien.

Un pauvre gendarme s’évertuait à mettre un peu d’ordre dans le barnum, courant en tous sens pour convaincre les dévots de se garer sur le bas-côté plutôt que sur l’asphalte.


À l'hiver 2018, on estimait, rien que pour Moscou, le nombre de plongeurs à 160 000 !


 bain glace
En Nocturne, encore plus impressionnant

Des tentes de déshabillage sont aménagées près du Yordan et un thé chaud est servi aux survivants. Le bain se prend en maillot et les participants s’immergent trois fois sous les ovations de la foule.


Au-delà de la preuve de foi ou-bien du défi entre amis, la raison première pour laquelle certains se jettent à l’eau repose sur la croyance que les baignades de la Théophanie facilitent la guérison de plusieurs maladies, attribuant ainsi des vertus miraculeuses à cette eau bénie par le pope.


ferveur et voyeurs
Noel au Balcon, Pâques aux tisons

La ferveur est impressionnante et palpable. Ces images de fanatisme, qu’il soit religieux ou autre, me mettent mal à l’aise, sentiment d’incontrôlable, d’irraisonnable, pour tout dire de dangereux.


Theophanie et eau glacee
Comment ne pas tomber en dévotion ?

L’enthousiasme des spectateurs émoustille le zèle des baigneurs. Le spectacle des ablutions permet parfois de se réchauffer les yeux, comme sur les photos ci-dessus, ce qui est appréciable par ces températures.


La Coutume consistant à se baigner dans de l’eau sacrée n’était pas très largement répandue au départ. Elle ne concernait que ceux qui, comme le voulait la tradition païenne, se déguisaient pendant les douze jours saints qui suivaient la Noël orthodoxe (le 7 janvier). Ils portaient des masques d’animaux et amusaient la population par des koliadki (chants).


Pour l’Épiphanie, ils devaient « se laver de l’image de la bête » en plongeant dans l’eau bénie glacée. Au fil du temps, la coutume s’est élargie et s’est dotée de croyances selon lesquelles l’homme qui se baigne pour la Théophanie se lave de tous les péchés accumulés au cours de l’année.


Theophanie, les ablutions pour laver les Pêchers
Lave tes Pêchés mon frère et frotte fort

Les Ablutions :


N’oubliez pas vos sandales, une serviette, un maillot de bain et des vêtements chauds et secs.

Trempez votre corps progressivement. Quand vous arrivez à hauteur de la poitrine, retenez votre respiration et immergez-vous trois fois. Sortez rapidement de l’eau. Pas la peine de nager si c’est votre première expérience.

Les novices ne doivent pas rester dans l’eau plus de 10 secondes. Sortez et frottez votre corps avec votre serviette avant de vous habiller. Ne vous roulez pas dans la neige : c’est une distraction pour les plus expérimentés ou les plus fadas.


Morgis : les russes nomment « morses » (моржй), ces gens qui se plongent dans l’eau glacée l’hiver et ce, quelles que soient les conditions météo, et indépendamment de toute notion de culte, juste pour se fortifier, disent-ils … oui oui y en a !



Commentaires Sociologiques et Historiques :


Derrière ce rituel se cache une profondeur psychologique liée à la foi orthodoxe et à la résistance physique. Le baptême dans l’eau glacée symbolise la purification spirituelle, mais aussi la capacité de surmonter la douleur et l’inconfort. Cela traduit une mentalité où l'effort physique intense est perçu comme un acte de foi, renforçant la résilience des croyants face aux défis de la vie.


Perspective sociologique et populaire :


Cette tradition, bien qu’ancrée dans la religion orthodoxe, est devenue un phénomène social. Aujourd'hui, elle attire des personnes non seulement motivées par la foi, mais aussi par le désir de prouver leur endurance ou de participer à un événement de mode saisonnier. Cela démontre comment une coutume religieuse peut évoluer et s’adapter aux tendances modernes, tout en conservant sa dimension sacrée.


Théophanie, Références culturelles et historiques :


La pratique du baptême dans l'eau glacée pendant la Théophanie trouve ses racines non seulement dans le christianisme orthodoxe, mais également dans des croyances et rituels préchrétiens profondément ancrés dans la culture slave. Cette hybridation entre paganisme et christianisme en Russie est un phénomène culturel fascinant qui illustre comment des coutumes anciennes survivent et se transforment à travers les siècles, en s’adaptant à des croyances religieuses plus récentes.


Les influences païennes : une tradition millénaire :


Avant l'arrivée du christianisme en Russie au 10e siècle, comme les Scythes, puis apres eux les peuples slaves, vénéraient des forces de la nature et participaient à des rituels qui honoraient les cycles de l'année et les éléments, notamment l'eau.


Chez les Scythes, l’eau était considérée comme une source de purification et de renouveau, un concept fondamental dans de nombreuses cultures païennes. Plonger dans l'eau froide à des moments clés de l'année, comme le solstice d'hiver, marquait symboliquement la purification et le renouveau, préparant ainsi l’âme et le corps pour la nouvelle année.


Les Scythes faisaient partie des peuples nomades des steppes d'Eurasie, ils ont influencé la région par leurs échanges et interactions.


Ces croyances païennes ont laissé une empreinte durable sur la culture russe, même après la christianisation. Le rituel orthodoxe de la Théophanie, où l’on plonge dans l’eau glacée, conserve cet aspect de purification et de renouveau, qui rappelle les anciens rituels païens de purification par l’eau, bien qu’il soit désormais recontextualisé dans une narration chrétienne, celle du baptême de Jésus dans le Jourdain.


Christianisation de la Russie et syncrétisme religieux :


Lorsque le prince Vladimir de Kiev adopta le christianisme en 988, il devait non seulement introduire une nouvelle religion à son peuple, mais aussi intégrer les pratiques païennes dans cette nouvelle foi afin d’assurer une transition plus douce.


Les douze jours saints qui suivent la Noël orthodoxe (le 7 janvier) et culminent avec la Théophanie en sont un exemple clair. Ces jours, marqués par des fêtes et des rituels, coïncidaient déjà avec des festivités païennes célébrant le solstice d’hiver.


L'une des pratiques les plus intéressantes de cette époque païenne est celle des déguisements en bêtes sauvages durant ces jours saints, où les gens portaient des masques d'animaux pour incarner les esprits de la nature. Cette coutume est issue de la tradition de chasser les mauvais esprits et de se reconnecter aux forces de la nature.


À la fin de cette période, les participants devaient "se laver de l'image de la bête" en plongeant dans l'eau glacée pour purifier leur corps et leur âme. Cette symbolique de purification a été intégrée dans la tradition chrétienne de la Théophanie, où l’immersion dans l’eau bénite permet de "laver" non seulement l'image de la bête, mais aussi les péchés accumulés au cours de l’année.


Le baptême orthodoxe et ses implications religieuses :


Le baptême dans l'eau glacée à la Théophanie est un symbole puissant de foi orthodoxe en Russie, rappelant le baptême du Christ dans le fleuve Jourdain. Cependant, ce rituel orthodoxe est davantage qu'une simple commémoration historique. L'eau, bénie par le Pope, est considérée comme ayant des propriétés miraculeuses qui guérissent le corps et l'âme, un concept qui trouve écho dans les croyances populaires russes. Cette pratique permet donc une purification spirituelle, mais elle est aussi perçue comme un moyen de se connecter à des forces spirituelles plus vastes.


L’eau, dans le contexte religieux orthodoxe, incarne à la fois la pureté et la renaissance. S’immerger dans l’eau bénite pendant la Théophanie symbolise une forme de renaissance spirituelle, où les fidèles renouvellent leur engagement envers Dieu, tout en cherchant à purifier leur âme des péchés de l’année écoulée.

Cet acte est une puissante affirmation de la foi, mais aussi une expression de la résilience physique et mentale. La fusion de ces idées – le corps qui endure le froid et l’âme qui se purifie – est profondément enracinée dans la vision russe du monde, un mélange unique de mysticisme, de pragmatisme et de foi.


Bapteme du Christ dans le Jourdain

Bapteme du Christ dans le Jourdain


Symbolique de l'eau dans la culture russe


L'eau a toujours occupé une place centrale dans la culture russe, aussi bien dans les croyances populaires que dans la littérature et les traditions religieuses. Elle est un symbole de transformation, de purification et de connexion avec le divin. Que ce soit à travers les rituels de la Théophanie, le culte des rivières et des sources dans les temps païens, ou encore les récits de la littérature russe où l'eau joue souvent un rôle symbolique (pensons aux œuvres de Tolstoï ou Dostoïevski), l’eau incarne un lien entre le monde matériel et spirituel.


Le rôle des superstitions et de la croyance populaire


La Russie est un pays imprégné de superstitions, et le rituel de la Théophanie n'échappe pas à cette règle. La conviction que l'eau bénie protège des malheurs et purifie l'âme fait écho à une tradition plus large d’omniprésence des forces surnaturelles dans la vie quotidienne russe. Cette perception du monde, où le divin, le sacré et le profane s’entrelacent constamment, trouve son origine dans des siècles de croyances animistes et païennes, où chaque geste, chaque action rituelle avait une dimension symbolique profonde.


En somme, le baptême dans l'eau glacée lors de la Théophanie est bien plus qu'un simple acte de foi. Il s'agit d'une fusion culturelle et historique qui plonge ses racines dans les anciennes traditions païennes, tout en incarnant les principes de la foi orthodoxe russe. C'est une pratique qui, tout en ayant évolué au fil du temps, continue de symboliser la purification, la résilience et la foi dans la culture russe moderne. La persistance de ces rituels témoigne d'une continuité culturelle où le passé et le présent coexistent harmonieusement, créant un lien unique entre l’individu, la nature et le sacré.

 


En Conclusion :


Ainsi, la plongée dans l’eau glacée à la Théophanie n’est pas simplement une coutume religieuse contemporaine, mais un riche mélange de traditions qui relient la Russie moderne à ses racines historiques et spirituelles.

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