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Photo du rédacteurAlain Mihelic

Le Lubok – L’Imagerie Populaire en Russie, nos Images d’Épinal.

Dernière mise à jour : 10 oct.

Les LUBKIS, ou les ESTAMPES du PAUVRE

Imaginez-vous au coin d’une ruelle poussiéreuse d’une petite ville russe au XVIIIe siècle. Des colporteurs agitent joyeusement des feuilles de papier aux couleurs vives et les passants se pressent autour d’eux. Qu’est-ce qui attire autant la foule ? Les Lubkis, bien sûr ! Ces images populaires, mi-caricatures, mi-conte de fées, en mettent plein les yeux tout en distillant des récits grinçants de la vie quotidienne, de la politique, ou même des fables bibliques. Une sorte de bande dessinée d’antan, mais en version gravée sur bois, sur cuivre ou sur pierre.


Le Lubok est une image qui fait partie de la tradition populaire Russe. Le plus souvent son thème est tiré de la vie courante, et traité de façon humoristique.

Ancêtres des bandes dessinées, si communes de nos jours, les premières images de ce type en Russie, sont apparues au 17ème siècle, elles étaient appelées "fryazhskie", ce qui signifie « étranger ». Plus tard, elles ont été rebaptisées « images amusantes », car elles représentaient souvent des dessins amusants, satiriques, sarcastiques.


Et c’est seulement au 19ème siècle que le terme Lubok leur reste accolé, peut-être parce que l’un des lieux de production important se trouvait sur la rue Lubianka. La place du même nom deviendra célèbre sous Staline pour d’autres raisons (siège du KGB).


Hibou, gravure, estampe, taille douce
Le Hibou, début du 19ᵉ siècle

Le Hibou, début 19eme siècle


Le Lubok, comme en France l’Image d'Épinal, est réalisé via différentes techniques : la gravure sur bois (la xylographie) depuis les temps les plus reculés, puis la gravure sur cuivre (taille douce), et la gravure sur pierre (la lithographie). Le travail est souvent complété par des reprises à la main.

Ces techniques portent le nom générique d’estampes, et consistent à graver un sujet sur un support solide, pour permettre sa reproduction à de nombreux exemplaires, sur papier.

Le Lubok typique et populaire, se caractérise par la simplicité de la technique (gravure sur Bois et sur une seule planche), la rusticité des moyens picturaux (un trait un peu grossier, une coloration manuelle sans recherche). Il contient le plus souvent des inscriptions explicatives et des images en complément au sujet principal.



Les Lubkis, souvent créés par des artisans autodidactes, étaient des petits bijoux d’expression populaire. Avec des techniques de gravure simples, ils parvenaient à raconter des histoires de la vie du peuple, parfois avec une ironie mordante. Leurs traits épais et leurs couleurs vives faisaient écho à une réalité toute en contrastes. Un simple coup d’œil, et c’est toute une satire sociale qui se déploie devant vous : les travers des classes supérieures, l’hypocrisie des autorités religieuses, et même les déboires des saints malmenés par des pécheurs zélés !


Chat de Kazan, estampe, lubok
Lubok "Chat de Kazan, esprit d'Astrakhan, esprit de Sibérie". XVIII siècle

Lubok "Chat de Kazan, esprit d'Astrakhan, esprit de Sibérie". XVIII siècle

La Xylogravure comme Art :

À contrario, l’Estampe artistique, parvient à des nuances et une sophistication fantastiques, par la finesse de la gravure et la superposition des couleurs sur 4, voire 5 plaques différentes.


Cette imagerie artistique employait de nombreux artisans, des graveurs, sur bois, sur cuivre, puis, sur pierre, et des enlumineurs, des dessinateurs, des caricaturistes.

Quelques exemples ci-dessous, de Xylographies réalisées par des artistes de renom, pour donner une idée de la perfection que cette technique peut atteindre.


Durer,estampe, xylographie
Albrecht Durer. Retrait des Cinquième et Sixième sceaux. 1498

Albrecht Durer. Retrait des cinquième et sixième sceaux. 1498



Holbein, estampe, xylographie
Hans Holbein, La Mort et l’Abbé. 1525

Hans Holbein, La Mort et l’Abbé. 1525



Hokusai, la grande Vague
Hokusai, la grande Vague

Hokusai, la grande Vague



Une Belle et Rare forme d’Expression Populaire :

Les tableaux folkloriques eux, ont été principalement dessinés par des gens simples et pauvres, des artisans non formés, des autodidactes.


image religieuse : Nourriture pour les Pieux et les Incroyants, 18e siècle
Nourriture pour les Pieux et les Incroyants, 18e siècle

Nourriture pour les Pieux et les Incroyants, 18e siècle

Outre les artistes créateurs, les épouses et les enfants étaient également impliqués dans la finition des Lubkis (osons ce pluriel), dans l’application des peintures aux coloris vifs.

La Technique sur Bois :

La Gravure :

Le graveur esquisse son dessin sur un bloc de bois plan et régulier. Le contour du dessin est laissé en relief, intouché. Tout ce qui est gravé apparaîtra en blanc à l'impression. La gravure est obtenue grâce à différents outils : le canif, le burin, le ciseau ou la gouge.

Lorsque la taille est terminée, le dessin initial apparaît en relief sur le support de bois, d’où le nom de taille d’épargne.

L’Encrage :

Pour encrer le relief de la matrice en bois, on utilise un rouleau ou un tampon, avec une encre suffisamment visqueuse pour ne pas couler dans les creux.


Gravure en relief
Gravure du Sujet en Relief : la Taille d'Epargne

La Gravure en relief


L’Estampe obtenue par la Technique de Xylographie
L’Estampe obtenue par la Technique de Xylographie

L’estampe obtenue

Photo : Wikipédia


L’Impression :

L’encre est transférée sur le papier par pression, soit en frottant avec un outil, soit en utilisant une presse.

Caractéristiques :

La gravure sur bois dans son acceptation primaire, oblige l’artiste à penser en termes de noir et blanc. Il n’est pas possible d’obtenir des valeurs de gris, toute entaille de la surface du bois apparaissant en blanc à l’impression.

L'image obtenue peut se comparer aux pages à colorier des albums pour enfants. Un contour noir du sujet, qu’il faut peindre à la main avec des teintes multicolores pour donner vie au sujet.

Des techniques plus tardives ont cependant permis des nuances subtiles.


Les Sujets abordés :

Les sujets des images folkloriques varient, de la reproduction d’icônes, jusqu’aux caricatures politiques. Le traitement étant rendu léger par la touche d’humour apporté.

Ces images étaient réalisées par le peuple, pour le peuple, et représentaient souvent des dessins-scènes de leur vie quotidienne, parfois en bandes dessinées, de la satire sur les thèmes de la politique et de la vie de la haute société. Les Lubkis abordaient aussi des sujets sensibles comme la caricature de la hiérarchie orthodoxe. Grosse susceptibilité.


Les nantis tournes en ridicule
Lubok : les "Tenants" tournès en ridicule

De la vanité et la cupidité des classes supérieures.

Le Dandy et la Courtisane, XVIIIe siècle. «J’ai adhéré à cette habitude depuis mon plus jeune âge : je n’aime aucun bel homme sans argent ; mais pour un profit, je ne suis pas du tout sauvage : pour de l'argent, je suis prêt à aimer même un taureau. "

À la fin du XIXe siècle, les images sur des thèmes des Saintes Écritures et les motifs religieux (ayant valeur de protection), et les portraits de la famille impériale, prévalaient. Mais une large part de la diffusion concernait les images de genre, souvent à caractère moral et instructif, par exemple sur les conséquences désastreuses de la gourmandise, sur l'ivresse, sur la cupidité.

Autres thèmes traités : les contes de fées, les récits héroïques, la mise en images de chansons folkloriques, et enfin la production de Cartes à Jouer et de Tarot.


En raison de sa simplicité, sa clarté et de la facilité de production et diffusion en masse, l'imagerie était devenue un puissant véhicule idéologique auprès de la population.

L'impression populaire fut donc utilisée comme moyen d'agitation (par exemple, les estampes populaires pendant la Révolution française), ou d’influence à résonance politique ou sociale.


Le Barbier veut couper la Barbe du schismatique
1770, Le Schismatique et le Barbier, Rendu Humoristique d'un fait Societal

1770, Le Schismatique et le Barbier

Le Barbier veut couper la Barbe du schismatique, qui refuse et se défend

De Media Populaire Spontané a Organe de Propagande Gouvernemental. La décadence d’un genre.

Les colporteurs transportaient et vendaient ces imprimés si populaires dans tout le pays. Ils étaient attendus partout.

Il aurait été difficile de trouver une maison ou on n’arborait pas bien en vue une seule image, tant elles décoraient les murs par leurs couleurs vives.

L’énorme diffusion des Lubkis, supports inégalé pour la création d’historiettes et de contes, en faisait aussi une monture idéale pour la divulgation d’informations.

Devant ce succès, la tentation devenait grande pour un détournement d’utilisation.

L’État, et les forces politiques ne pouvaient rester inertes devant la réussite de cet outil d’influence. Donc graduellement, on contrôle policier, par utilisation de la censure, et bien sur l’Église s’en mêle.

Le patriarche de Moscou Joachim interdit en 1674 «d'acheter des feuilles imprimées par les hérétiques allemands, les Luther et les Calvin, selon leur opinion maudite». Les visages des saints vénérés devaient être dépeints sur un fond noir, et les images imprimées devaient être «attrayantes».

Et près d'un demi-siècle plus tard, en 1723, une interdiction de publication a été imposée concernant la représentation de personnages de la famille régnante sur des feuilles imprimées.

Dans la même ligne, par un décret du 18 octobre 1744, il est ordonné «de soumettre les dessins à l'avance pour approbation aux hiérarchies diocésaines».

La seule forme d'art visuel autorisée était alors les icônes, qui devaient être peintes en stricte conformité avec les anciennes traditions byzantines. Vies des saints, paraboles, morales, chansons, etc.

Pendant la guerre patriotique de 1812, les estampes populaires sont devenues pour partie le support de la propagande officielle, et les caricatures politiques satiriques ridiculisent Napoléon et les Français et remontent le moral de la population.


affichette de propagande
Guerres Napoleoniennes : la riposte populaire

Vasilisa Kozhina est commandant de partisans. 1812

Nous rencontrons des gens gentils, mais nous chassons les voleurs, les impudents et les hommes d'affaires.

Rats affamés français dans les mains de Vasilisa.


En 1822, la censure policière est introduite pour l’impression les Lubkis. Certaines productions ont été interdites, les planches détruites.

En 1850 un nouveau décret est publié durcissant la censure sur ce type de créations. Toutes les estampes populaires qui avaient été imprimées avant ce décret, sont vérifiées et celles qui étaient hors des clous, détruites.

Pour faire bonne mesure, la police de Moscou passe dans toutes les rues ouvrières, fouille les ateliers des artisans et détruit un grand nombre de gravures populaires. Les artisans sont contraints à ne plus imprimer autre chose que des scénettes folkloriques. Les estampes en ont ainsi perdu leur valeur pour le peuple en tant que source d’information et de critique des pouvoirs.

Plus tard, de telles images seront produites dans des imprimeries d’état, et uniquement sur des sujets louangeurs de l’action du gouvernement, dévoyant la mission première de moyen d’information. L’intérêt s’estompa.

Ce genre d'art s'est épuisé graduellement, vaincu par la peur des tenants et leur refus d’accepter une remise en cause. Ces gouvernants finiront pourtant par sauter, pour d’autres raisons.

Le cadre étroit du socialement correct, est parvenu ici encore a éteindre la spontanéité naturelle et la malice des gens simples.

Volumes de Diffusion :

L'une des premières usines d’estampes a vu le jour à Moscou au milieu du XVIIIe siècle. L'usine comptait 20 machines.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l'un des plus grands producteurs et distributeurs d'imprimés populaires était I.D.Sytin.

À la fin du siècle, Sytin produisait chaque année environ 2 millions d'exemplaires d’un calendrier, environ 1,5 million d'images sur des sujets bibliques et 900 000 images a contenu profane, le concurrent Morozov produisait jusqu'à 1,4 million d'images par an.


Parodie : Les Souris enterrent un Chat", 1760
Les Souris enterrent un Chat", 1760

Les souris enterrent un chat", 1760

Satire pour les funérailles du Tsar Pierre Ier, qui a été décrit comme un chat féroce.

Affichette moralisatrice
Toute la Panoplie pour l'education du Peuple : Dictons, Maximes, Adages, Morale religieuse, Bienseance

Du vin et du tabac - pas d’argent, pas d'honneur. Celui qui fume – et son ventre et sa fortune sont en feu.



Morale et Education, 3 filles et un garcon
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Hésiter sur le choix – c’est risquer de ne pas se marier.



Les Heros des  Contes Populaires
Les Heros des Contes Populaires, font partie des meilleures Ventes !

Ilya Muromets et le rossignol voleur


Ilya Muromets, un chevalier fort et courageux, quitte Tchernigov pour Kiev et se rend dans les forêts, les marais et les marécages de Briansk. Le Rossignol le voleur y vivait. Il n'a manqué personne avec son sifflet. A 20 verstes il a sifflé à Ilya Muromets, puis à 10 miles encore plus fort. Le cheval d'Ilya Muromets a trébuché, mais a marché. Plus Muromets était proche, plus le rossignol sifflait. Ilya retire son arc serré à ses épaules et tire une flèche directement dans l'œil droit du Rossignol Voleur. Le voleur est tombé du nid.


Morale religieuse : Adam et Eve Chassés du Paradis
Chassés du Paradis.... la Faute a Qui ??

XVII siècle. Racine de Vassily : "Adam et Ève"



Farnos, monté sur son Cochon Violet
Farnos, monté sur son Cochon Violet

FARNOS


Farnos, l’un des personnages phares des Lubkis :


Ce personnage a été amené d'Allemagne (Hanswurst Jean Saucisse) en Russie au début du 17ème siècle et a été accepté dans le répertoire des bouffons sous le nom de Petrukha Farnos. Pour le peuple, Farnos est devenu l'un des héros clownesques les plus aimés. Il a acquis une renommée particulière grâce aux estampes populaires du 18ème siècle.

De son origine, Farnos a appris l'équitation sur un cochon «marchant dans le vin», et de l’influence italienne du bouffon Pulcinella, il s’est vu doté d’un bonnet pointu napolitain.

À la fin du 19eme siècle, l'imprimé populaire a été relancé sous forme de bandes dessinées.



Lubok. Le petit cheval Bossu
Lubok, la Forme Primitive de nos Bandes Dessinées

1885. Lubok. Le petit cheval Bossu

Intérêt Historique et Esthétique des Luboks :

Le Lubok est pourtant une forme d'art à part entière, une impression graphique à la rusticité touchant aux arts premiers, souvent très expressive et esthétique, et ce, sur un vulgaire morceau de papier.

Aujourd’hui, les rares Estampes anciennes, qui ont été conservées, sont entrées dans les musées, comme preuve du talent naturel des artistes autodidactes en Russie. Ces images ont non seulement une valeur artistique, mais aussi une valeur historique. On étudie cette forme d'art et son influence sur le peuple russe de cette période.

Au début du 20eme siècle, de nombreux artistes russes, dont l'illustrateur Ivan Bilibin de sont tournés vers l'art populaire du Lubok.

Les thèmes «paysan» et l'art populaire primitif sont souvent apparus dans les imprimés populaires et sur les motifs textiles des artistes d'avant-garde russes. Kazimir Malevich et Vassily Kandinsky, ont travaillé dans le genre Lubok.


propagande de Guerre,
Les Artistes se Devaient de Participer a l'Effort National !

Malevich : Les Autrichiens sont arrivés à Rdzivili, mais ils sont tombés sur la Fourche de Grand-Ma’



Tableau : une Amazone dans les montagnes
Par Monstres et par Veaux, Amusante Amazone cravache et chevauche

V.V. Kandinsky, Amazone dans les montagnes, 1918.


Les contemporains et amis de Kadinsky, Natalia Goncharova et Mihail Larionov, etaient passionnés pour les estampes populaires russes. Comme le rappelle l'artiste Pavel Mansurov, « surtout ils ont erré avec Kandinsky dans les bazars, à la recherche d'imprimés paysans.»

Aujourd'hui, certains artistes contemporains tentent de reprendre ce genre et de le revivifier.

Par exemple, une série d'estampes populaires ont été peintes et écrites par l'artiste Marina Rusanova sur le thème : «Proverbes et dictons pour les enfants».


Un autre artiste contemporain Andrei Kuznetsov dessine des impressions Internet sur des sujets d'actualité, en rendu grotesque et d'allégorique. Dans ses dessins, apparaissent des personnages de films étrangers et de dessins animés soviétiques.


Parodie de film
Ex Terminator : Vite Prendre la Poudre d'Estampette

Kuznetsov, 2003. Scène de Terminator 2


Ci-Dessous des cartes de Tarot de facture récente, copiant et reprenant des thèmes anciens :

Le Diable
Un Diable Bleu, ca peut pas étre bien Méchant

Le Diable



La Prêtresse en Colombe Bleue
La Prêtresse en Colombe Bleue

La Prêtresse

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