J’ai tenu à traiter cette page d’histoire car elle est vive dans les mémoires de mes amis Russes…. et aussi parce qu'il y a quelques 20 années, j’ai fait la connaissance à Genève, d’un descendant de Mouraviov-Apostol. Il était chef du département investissements pour une banque de la place, et mon intérêt pour cette page d’histoire découle de cette rencontre. Le personnage était élégant, racé, d’une grande culture, très humain et ouvert. Nous sommes restés sporadiquement en relation pendant quelques années.
Contexte historique
Jean-Jacques Rousseau, Charles de Montesquieu, Voltaire et bien d'autres ont développé et répandu les idées des Lumières dans la vie politique.
À la suite des ravages Napoléoniens, des idées républicaines et antimonarchistes se développent en Europe, passant par une limitation des pouvoirs des monarques jusqu’à un renversement des systèmes en place.
De jeunes aristocrates russes qui rêvent de changer le monde, s’unissent et conspirent et attendent une opportunité pour tenter un coup d'État.
L’Empereur, Alexandre 1er, meurt en novembre 1825, son frère ainé Constantin ne se précipite pas pour lui succéder et refile la patate chaude au cadet de la fratrie : Nicolas, peu préparé pour le rôle.
Alexandre Ier
Source : Wikimédia Commons
Nicolas à peine catapulté sur le siège impérial depuis la veille, le 14 décembre 1825, les insurgés sentent que le moment est venu d’imposer une nouvelle constitution au débutant.
Nicolas Ier
Source : Wikimédia Commons
« La révolte des décembreistes » par Vasiliy Timm (Détail)
Les Personnages de la Tragédie
Alexander Mouraviov-Apostol, lieutenant-colonel de l’armée russe, est l’un des meneurs de la société secrète « Soïouz Spassenia » (« l’Union du salut »), dont le but est de donner une Constitution à l’Empire, de restreindre les pouvoirs de l’empereur et d’abolir le servage.
Alexandre Mouraviov.
Source : Wikimédia Commons
Il rassemble de nombreux aristocrates acquis aux idées progressistes : le prince Sergueï Troubetzkoï, le prince Ilya Dolgorukov, Nikita Muravyov, Pavel Pestel, Mikhaïl Bestoujev-Rioumine, Kondrati Ryleïev, Piotr Kakhovski.
D’autres, comme le poète Alexandre Pouchkine, le conseiller du tsar Mikhaïl Speransky et le général Alexeï Yermolov étaient proches de ces cercles.
Les évènements du 14 Décembre 1825
Les officiers insurgés mènent environ 3 000 soldats sur la place du Sénat.
Sur la Place du Sénat, le 14 Décembre 1825. K.Kolman (vers 1830)
Mais les révoltés manquent se soutient et d’organisation et de fermeté. A part les 30 officiers à cheval, tous les soldats sont des fantassins : Ils n’ont pas d’artillerie et subissent des défections dans leurs propres rangs au niveau commandement.
Les mutins n’étaient pas préparés à faire couler le sang.
Après une journée d’attente et de négociation avec les Gardes Impériaux restés fidèles au pouvoir, Nicolas donne l’ordre de disperser les émeutiers et de tirer. À la chevrotine et au canon, la place est libérée.
Schéma de la bataille sur la place du Sénat.
Source : istoriarusi.ru
Les 3 000 émeutiers, réunis en carré (en hachures sur le plan), font face en fin de journée à 12 000 hommes.
"La fusillade du général Miloradovich le 14 décembre 1825" par Vasily Perov
Musée d'État de l'histoire de la religion d’Etat
Sergei Muravyov-Apôstol.
Source : Wikimédia Commons
Dans le même temps, Muravyov-Apostol et Bestuzhev-Ryumin qui n'ont pas participé au soulèvement sur la place du Sénat, ont mené la rébellion du régiment de Tchernigov stationné à Kiev. La rébellion eut lieu en janvier 1826.
Procès, Jugements et Peines
Les tirs dans les rangs des soldats protestataires (qui n’ont pas répliqué), ont fait 300 victimes directes.
Mais dans la foule considérable de Pétersbourgeois qui s’était amassée, il y eut aussi de nombreux décès. Certaines sources donnent jusqu’à 1271 victimes.
Tous les officiers ont été arrêtés et avec eux environ 700 soldats.
Révolte décembriste.
Source : Wikimédia Commons
À l’été 1826, les verdicts ont été rendus : les 5 décembristes «principaux», Pavel Pestel, Kondraty Ryleev, Sergey Muravyov-Apostol, Mikhail Bestuzhev-Ryumin et Peter Kakhovsky ont été exécutés par pendaison.
Pavel Pestel
Source : Wikimédia Commons
Alexander Muravyov, Nikita Muravyov ont eux été déportés.
Au total, 120 autres décembristes se sont vu infliger diverses sentences :
La dépossession de leurs titres de noblesse, et autres privilèges
Ces dispositions s’étendaient non seulement aux décembristes eux-mêmes, mais aussi à leurs enfants et petits-enfants. Les épouses des condamnés n’étaient pas soumises à ces mesures
Le travail forcé à vie,
La rétrogradation des officiers en soldats,
L'exil pour servir dans le Caucase,
L'exil pour vivre en Sibérie, etc.
La cellule des décembristes à Chita, en Sibérie
Piotr Golovachev
Après les condamnations, les épouses n’ont pas abandonné leurs maris. Elles les ont courageusement et résolument suivi en Sibérie, surmontant toutes les adversités. Parmi elles, trois françaises. Après avoir reçu une pétition des épouses lui demandant de partager la peine de leurs maris, l’empereur Nicolas I fut surpris et tenta de les dissuader.
Ces colonies d’aristocrates, encore fortunés et éduqués, ont activement participé au développement des zones auxquelles ils étaient attachés, et dans une ville comme Irkutsk, nombreuses sont les traces de l’activité de ces réprouvés.
En 1856 les Décembreistes furent pardonnés.
Les Décembristes : une tragédie digne des plus grands dramaturges russes, où les rêves de révolution côtoient les réalités brutales de la politique impériale.
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