Comment la Musique Interdite a été propagée en URSS, sur des Radiographies X
J’aimerais, dans cet article :
Décrire un phénomène culturel intéressant et exotique qui, dans l'Union soviétique des années 1950-70, fut l’expression de cette forme d’imagination populaire qui nait par le besoin
Mettre en lumière comment des mélomanes entreprenants ont enregistré et diffusé des musiques interdites, ou tout simplement inaccessibles, en les gravant sur des supports assez singuliers : des radiographies de poumons ou d’articulations ou pire encore.
Ces reproductions de musique "sur les os" («музыке на костях»), ou comme on les appelait aussi : "sur les crânes", ou "sur les côtes", étaient des enregistrements « Samizdat » sur radiographies usagées, ou quand l'autoédition devient un sport national.
Samizdat :
Samizdat peut se traduire par autoédition (formé de сам—sam, soi-même, et издательство—izdatiélstvo, qui signifie édition). Ce mot est utilisé par dérision envers le Gosizdat : les « éditions d'État » éditions officielles du régime soviétique avec leur service de censure.
L'existence du Samizdat est ainsi totalement liée au système de censure qui sévissait en Union soviétique.
Le Samizdat était un moyen clandestin de circulation d’écrits « dissidents » en URSS et dans les pays du bloc de l'Est. Le terme se rapporte à la fois aux manuscrits ou dactylographies et aux auteurs de ces écrits.
Les Premiers Samizdats apparaissent après Staline, avec une diffusion maximale dans les années 70-80.
Musiques inaccessibles, Pourquoi ?
La censure soviétique était plus stricte qu'une grand-mère surveillant son gâteau au four. Les artistes non approuvés par l'État étaient aussi bienvenus qu'un loup dans un troupeau de moutons.
Plusieurs raisons rendaient les Œuvres musicales inaccessibles :
La Musique pouvait être l’œuvre d’interprètes non approuvés par l’état tels certains Bardes comme Vissotski (Voir Article : Vladimir-Vissotski-la-legende)
La Censure pouvait frapper un interprète reconnu, mais dont un titre avait déplu.
Les Disques Vinyles étaient très chers pour les bourses vides en particulier celles des étudiants. 🤨 🙂
Des captages et reproductions pirates de Radios étrangères (généralement brouillées) permettaient d’avoir accès à d’autres formes musicales.
Côté censure :
Le Gosizdat était l'organe central de la censure de la presse en URSS avant l'avènement du Glavlit.
Le Glavlit - le principal organisme de censure, à partir de 1922, contrôlait tous les documents imprimés pour se conformer au contenu de l'idéologie d'État.
Le Glavrepertkom - Comité pour le contrôle des spectacles et du répertoire, dans les années 1920-1930
Le Goskino assurait la censure des films.
Infos Wikipédia
On notera qu’aujourd’hui c’est plus simple, moins de censure, mais on se contente de contrôler les médias, qui vous donnent la bonne information et comment l’utiliser.
Image plus que jamais d’actualité .... hélas en Europe
Getty Images/iStockphoto
Pasternak comme symbole du dérisoire de la Censure
La Musique « sur les Os » :
Le prix des disques en commerce était exorbitant et peu de gens pouvaient se permettre d'acheter un vinyle officiel, valant le salaire d'un ingénieur.
Le besoin fait naitre des vocations et des risque-tout ont commencé à enregistrer des musiques sur des radiographies collectées dans les poubelles, ou achetées dans des hôpitaux. Moralité : Quand votre médecin devient DJ malgre lui !
Ces Vues en négatif de fragments de squelettes humains étaient à la fois effrayantes et drôles, comme une trace d’humour noir, avec un petit charme brodé d’absurde.
Grâce à la musique "sur les os", le rock and roll, le boogie-woogie, les bardes russes, et la musique tzigane pouvaient être achetés pour un rouble à un rouble et demi. Cette somme restait importante cependant, pour les étudiants - principal public de ce commerce au black.
Trois décennies après la naissance de la « musique sur les os », Viktor Tsoi chanteur très célèbre en Russie dans les années 1980, clamera : « Tu étais prêt à donner ton âme pour un rock and roll, qui sortait de la photo du diaphragme de quelqu'un d'autre ».
Haut les Mains !
Les « Os » ont été enregistrés et vendus en Union soviétique depuis la fin des années 1940.
Bien sûr, ces enregistrements n'étaient pas vendus en magasins. On pouvait les trouver dans les marchés aux puces, dans les petites ruelles des grandes villes, sous les portes cochères. Souvent, les vendeurs allaient par deux, l'un proposant un choix de disques et négociant le prix, tandis que l'autre se tenait à proximité avec une valise pleine de marchandises.
Les amateurs recevaient après règlement, un disque mince avec une chanson qui ne durait pas plus de trois minutes et demie.
La Qualité des « Os » :
Si les premiers enregistrements produisaient une musique de bonne qualité au point qu'il était même difficile de les distinguer des originaux, plus tard, lorsque la pratique s'est généralisée, la perfection fut oubliée et cette qualité a considérablement chuté.
Les "Os" étaient devenus souvent exécrables : un bruit de fond pouvait parfois couvrir la musique qui en devenait inaudible, ou bien, au lieu des paroles poétiques tant attendues, on entendait des insultes échangées lors de l’enregistrement.
Bon, pour les petits producteurs, il était assez difficile d'éviter complètement les bruits parasites, et le sifflement, et le bruissement du plateau rotatif, venait s’ajouter aux cliquetis des mécanismes de l'enregistreur et du lecteur.
Démonstration récente d’enregistrement sur Radiographie
© www.facebook.com/XRayAudioBook
Parfois, mais rarement, les "Pirates" n'ont pas dédaigné de tromper les zavides de musique interdite : ils enregistraient un grand silence sur " les os" et les vendaient en l’état. Sur place, lors de l’achat il était impossible de vérifier la qualité de l’enregistrement, et l’échange du produit défectueux n’existait pas.
Ces disques ne fonctionnaient pas longtemps, la musique ne pouvait être jouée que quelques dizaines de fois, mais ces mélodies interdites, même avec de nombreux défauts, restaient enivrantes.
Pourtant, de telles transcriptions se sont vendues en grand nombre, et grâce à elles, la jeunesse soviétique avait au moins une idée de ce qu’était «l'autre» musique.
Si l'acheteur avait de la chance, les voix de Peter Leshchenko, Leonid Utyosov, Vadim Kozin, Bulat Okudzhava (Voir Article : « La Rue Arbat, un immanquable nid a Touristes »), Vladimir Vissotsky, Frank Sinatra, les Beatles, Chuck Berry ou Elvis Presley surgissaient des poumons voilés d’un bronchiteux ou d’un tas d’os brisés et de membres disloqués.
Il s'agit surement d'une Musique intellectuelle
La Machine Infernale :
L'enregistreur ressemblait à un gramophone, mais fonctionnant à l'envers. Au lieu d'une "aiguille" qui lisait de la musique sur un sillon, il comportait une tête qui grattait et gravait la surface vierge, en rotation. Le signal sonore faisait vibrer la tête qui «burinait».
Exemplaire d’époque
Chaque enregistrement était exécuté en temps réel et il n’était pas question d’accélérer la procédure sans impacter dangereusement la qualité.
Cette qualité était affectée par tout un tas de facteurs : l'âge et l’usure de la tête de gravure, la finition et la propreté de la surface, le type de musique et le silence relatif régnant dans la pièce, pendant l’enregistrement.
Ces enregistreurs, on les trouvait dans les grandes villes balnéaires : à cette époque, les cartes postales audio étaient populaires et les vacanciers pouvaient a peu de frais psalmodier un texte, qu’on enregistrait sur un petit disque souple, et qu’ils envoyaient à leurs proches pour partager leurs impressions de vacances.
Il est clair qu'il était risqué de reproduire de la musique interdite dans ces petits studios officiels destinés aux cartes postales audio, ces appareils à touristes étaient inaccessibles car trop répertoriés et les impétrants se devaient de réinventer eux-mêmes le procédé de gravure.
Gravure sur Disque Vinyle
Les Initiateurs :
Il semble que les initiateurs de ce type de piratage aient commencé à fleurir à St Pétersbourg (alors Leningrad), et 2 équipes au moins se sont distinguées et se sont complétées.
L’association du « Chien d'Or » :
Disques Carrés ? ça tourne pas rond !
Il est généralement admis que les mélomanes doivent l'apparition de la «musique sur les os» à un habitant de Leningrad, Ruslan Bogoslovsky, qui a étudié attentivement le principe de fonctionnement de l'appareil utilisé dans un studio d’enregistrement.
Ruslan en a dressé des plans, après quoi il a trouvé un tourneur pour l’exécution. Enfin, à l'été 1947, un magnifique appareil d'enregistrement sonore mécanique était prêt.
Bogoslovsky a emprunté également l'idée d'enregistrer sur des disques souples.
Tout était prêt pour la création officieuse du « Chien d'Or »
Variations sur des Os ou Exploration de l’individu ?
L’équipe créatrice a gagné de l'argent en produisant et en vendant des disques pendant plus de trois ans, jusqu'à ce que les arrestations des personnes impliquées dans ce type de commerce commencent à Leningrad.
Ruslan Bogoslovsky a été condamné à trois ans et son acolyte Taigin à cinq ans. Le matériel a été confisqué et détruit. Cependant, après avoir été libérés, les amis ont reconstitué l'appareil d'enregistrement sonore en l’améliorant et ont recommencé leurs activités entrepreneuriales. Belle constance.
L'appareil ainsi modifié par Ruslan pouvait maintenant, en phase avec son temps, graver des disques de longue durée avec une vitesse de lecture de 33 tours par minute.
Les ventes mensuelles atteignaient plusieurs milliers d’exemplaires.
La Ronde Squelettique
Quatre ans plus tard, Bogoslovski est de nouveau arrêté.
Au cours de ses trois années en camp, il a trouvé comment fabriquer des disques durs par soi-même et, à sa libération, il a mis en place la production de copies moins chères et de meilleure qualité, pour lesquelles il s'est retrouvé en prison une troisième fois.
Le Studio Sound Letters :
Sur Nevsky Prospekt, la grande artère de Leningrad, dans le studio Sound Letters, n'importe qui pouvait enregistrer un disque souvenir, il suffisait d’arriver avec sa guitare ou sa flute à bec ou ses cordes vocales bien affutées.
Mais en fin de journée, le studio se transformait en centre d'enregistrement de musique underground, qui reproduisait les disques des orchestres et musiciens de Jazz occidentaux, des chansons du monde entier et même des anecdotes. Toutes les merveilles de l’interdit.
Selon ses mémoires, Stanislav Filon fut le premier à Leningrad à mettre en place la production de disques au contenu "non autorisé", ayant à sa disposition un appareil d'enregistrement Telefunken.
Libre a l’achat, mais interdit a l’usage
Toutes les Explications détaillées
Les Poursuites :
Il n'était pas en fait repréhensible de copier des disques, personne ne demandait de royalties. L'essentiel était de ne pas copier les artistes interdits.
Les revendeurs risquaient la première fois une réprimande, mais risquaient bien plus en cas de récidive.
Pour la production et la distribution de disques musicaux, qui pouvaient avoir un "effet néfaste sur la jeunesse", les propriétaires de studios d'enregistrement clandestins ont été poursuivis par les autorités.
A titre d’exemple, le fond des Archives centrales de Saint-Pétersbourg, contenait des documents concernant une enquête datant de 1955, sur un réseau de fabricants de disques phonographiques de "répertoire idéologiquement incohérent et nuisible". Au résultat de l’investigation, des vendeurs clandestins ont été arrêtés. Les enquêteurs ont pu établir les connexions, les lieux de vente de musique et même les noms de acheteurs.
● Au cours de cette enquête, 81 fabricants et distributeurs de plaques radiographiques ont été arrêtés.
● Un tiers de tous les détenus étaient des personnes de moins de 21 ans, des étudiants et des écoliers. Les autres n'avaient pas d'emploi permanent et vivaient de la "spéculation idéologique". Les acheteurs étaient aussi des jeunes.
Appareil enregistreur de fabrication soviétique
Disques officiels correspondant à cet appareil
Conclusion :
Les autorités voulaient donc isoler le peuple soviétique de tout contact et de toute manifestation de cette « folie de la culture bourgeoise ». Mais l’envie de savoir et de connaitre était la plus forte.
Pour nous aujourd'hui, il parait surprenant et étrange que la jeunesse de la fin des années 1940 - 1950 n’ait pas eu accès libre à ces musiques dites "subversives", interdites par la censure.
Les tentatives du gouvernement soviétique d'éradiquer la "musique sur les os" n'ont pas abouti.
Quelques années plus tard, l'ère des "Os" s'est terminée avec l'avènement des magnétophones à bobines.
La musique sur Rayons X a finalement cessé d'être produite, et malheureusement, très peu de ces documents ont survécu.
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Sources :
Doc RT :
Valéria Merkulova de RT Russie
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