Dans cette série d’articles, nous passerons en revue quelques formes d’échanges marchands et de production en l’URSS, en restant centrés sur le côté anecdotique et folklorique.
Ici, nous évoquerons « la Queue » et « Les Sacs Okazou ».
De l’art du « Bien Faire la Queue » :
Dans les joyeuses années du soviétisme déclinant, les files d’attentes faisaient partie intégrante de la vie quotidienne. Il fallait attendre longtemps, parfois plusieurs jours, et ce, sans garantie de succès, après le bien qu’on convoitait. On organisait donc des « tours de garde » avec sa famille ; et on faisait la queue, quelle que soit la météo.
On faisait la queue pour le nécessaire comme pour le superflu ; et force est de constater que tout était nécessaire, car rien n’était disponible : chaussettes, saucisson, allumettes, beurre, vodka, savon, vêtements, chaussures, produits de toilette, électroménager, médicaments, moyens de contraception (et ce alors que tout le monde sait que l’URSS était un pays dans lequel, selon l’adage, « le sexe n’existait pas »).
Voir Article : "Les Magasins Officiels en URSS"
Maxime Mirovitch
On faisait la queue à Moscou et en province. Mais surtout à Moscou, car c’était là qu’on pouvait dénicher tout ce qui était introuvable ailleurs. Dans la capitale, une plaisanterie affirmait que l’on pouvait passer en revue, dans les files d’attente, toute la géographie et l’ethnicité soviétique, puisque des gens venaient de toute l’URSS pour faire la queue dans la capitale.
Les soviétiques, même s’ils ne sortaient pas expressément pour faire leurs courses, emportaient avec eux un sac, au cas où, d’où le nom « Okazou » (voir ci-dessous).
Rester dans la queue n’était pas obligatoire : vous pouviez simplement « occuper une place ». En arrivant, vous demandiez « Qui est le dernier ? », et après qu’on vous ait répondu, vous disiez à la dernière personne « Je suis après vous », et vous pouviez aussitôt partir faire une course ailleurs, et retrouver votre place après une heure d’absence. Vous pouviez même engager un spécialiste pour faire la queue à votre place. Ces héros du travail étaient surnommés les « tramitadors ».
Pourtant, sur la photo ci-dessus, les gens dans la file d'attente ne sont pas en stress, car du pain, il y aura pour tout le monde. Alors pourquoi la queue ? C'est que le problème est lié à l'organisation de la vente, trop complexe et lente. Nous y venons en détail dans l'article : "Les Magasins Officiels en URSS".
Maxime Mirovitch
Les denrées les plus simples, étaient un rêve. Certaines devaient uniquement être « obtenues » (comme disaient les gens), et parfois, travailler et gagner de l’argent n’était pas assez.
Pour réaliser ce « rêve », on échangeait des bottes contre du tissu, le tissu contre des aspirateurs, etc. Tout s’échangeait ensuite contre des biens de « luxe », des produits plus rares : des livres (surtout ceux interdits), des denrées de l’ouest, entrées en contrebande ou échangées avec les rares touristes.
Dans les années 1970-80, une paire de « jeans » pouvait se négocier de 150 à 300 roubles, quand le salaire moyen mensuel était de 140 roubles.
Voir Article : "Les Vendeurs de Rue et les Petits kiosques"
Voir Article : " Le Marche Noir en URSS"
Quand les gens voyaient une file d'attente devant un magasin, ils s'arrêtaient à tout hasard, et demandaient autour d’eux ce qu’on pouvait espérer, ou même attendaient en ignorant complètement ce qu'ils finiraient par acheter. Parfois c'étaient des chapeaux, parfois du maquillage... peut-être pour soi ou dans la perspective d’une revente ou d’un échange.
La Queue, un régulateur officiel entre l’Offre et la Demande ? Non, mais une réponse « originale » a l'inflation, une forme de Gestion de la Rareté, un exutoire à pénurie ! Et même une manière de pousser le citoyen à sociabiliser dans les files d'attente !
Tout est matière de perspective.
L'Étape suivante de cette logique restrictive : les Coupons d'alimentation et autres Talons d'approvisionnement (Voir Article : "Tickets de Rationnement en URSS")
Sacs et les « OKAZOU » (avoska)
Les Okazou du Soviétisme
L’Okazou, fait partie de ces attributs surprenants de tout Russe des années d’avant et autour dès 1990. Chacun se prémunissait en permanence d’un paquet, d’un sac, logé en fond de poche, dans le sac à main, dans la mallette, de façon à toujours être prêt, “au cas où”, sur le parcours, vers ou au retour du travail, se trouverait-il quelque chose qu’on puisse acheter. Il vous permettait de facilement participer à la course à la consommation contrôlée : la queue.
Le mot russe pour le sac à cordes, « avoska », peut être littéralement traduit comme « sac peut-être ». Le mot « avos » exprime le mince espoir d’avoir un peu de chance, et en URSS, où régnait une pénurie de la plupart des biens, le nom avait parfaitement du sens. Le sac ressemble à un filet, et tout ce qui est à l'intérieur est visible de tous. Il tient peu de place dans la poche, et peut (l’espoir fait vivre !) contenir beaucoup.
Les Sacs aujourd’hui
Les magasins de produits alimentaires en Russie proposent généralement des sacs en plastique à leurs clients pour faciliter le transport de leurs achats. Mais ensuite les Russes ne les jettent jamais ! Probablement est-ce une façon de protéger l’environnement, mais c’est aussi parce que ces sacs peuvent être réutilisés comme poubelle, ou pour autre usage. Il en résulte que chaque famille possède un imposant sac … à sacs. Chez nous, à la maison, nous avons plusieurs de ces sacs conteneurs, dans des endroits aussi variés que : le garage, la cuisine, la chambre de la grand-mère, la penderie, et il en existe surement d’autres encore que j’ignore, en des emplacements bien cachés.
Et autres conteneurs
« J’en aurai sûrement besoin un jour », disent-ils souvent, face à n’importe quel contenant. Les Russes, en effet, ont remords à jeter, par exemple, ces magnifiques boites de chocolats vides,
ou ces belles boites métalliques, qu’ils conservent pour entreposer diverses babioles, babioles qui dormiront oubliées, ainsi plus commodément dans une armoire.
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