Dans cette série sur l'Art Nouveau en Russie, nous avons tout d’abord admiré "La Maison Gorki » à Moscou. Un chef-d'œuvre au plein sens du terme !
Ensuite, nous avons fait une halte à Saint-Pétersbourg pour contempler un autre joyau, l’immeuble Singer (oui, comme les machines à coudre !). Cet article, intitulé : « Art nouveau en Russie : acte 2, la maison Singer", vous a probablement déjà convaincu que l’Art Nouveau en Russie était un vrai terrain de jeu pour les architectes imaginatifs et fantasques.
Nous avons ensuite visité cet autre ouvrage notable, traité dans l'Acte 3 de cette suite : « le Manoir Morozov", lui aussi à Moscou, un véritable festin visuel que nous avons déjà décortiqué avec appétit.
Et maintenant, attachez vos ceintures, car il serait impensable de clore cette série sans s’intéresser à l’une des plus délicieuses extravagances de Saint-Pétersbourg : l’Épicerie Elisséev. Oui, vous avez bien lu, une épicerie ! Mais pas n’importe laquelle...
L’Epicerie Elisséev de Saint-Pétersbourg
Transportons-nous à nouveau à Saint Pétersbourg la Belle, qui le mérite bien.
Ville des palais, des ponts, des canaux, et... des épiceries de luxe ! Parmi ces joyaux, l’Épicerie Elisséev, véritable monument à la gourmandise, ne manque pas de charmer les passants du 56 Nevsky Prospekt depuis 1903.
Conçue par l'architecte Gavriil Baranovski (qui manifestement savait que le style « moderne » ne se démoderait pas), cette merveille d’Art Nouveau est devenue l’un des symboles officieux de la ville. Rien que ça !
Le style Art Nouveau en rupture avec les canons classiques, s'est développé dans la ville et en Russie, au tournant du 20ème siècle, comme dans le reste de l’Europe. Il était le symbole de la liberté de l’imagination (Voir Article à paraitre : "l'Art Nouveau, en Russie et Ailleurs").
Ce modèle d'architecture a été réalisé sur la commande des frères Elisséev pour abriter leur activité : une épicerie de luxe.
Les frères Elisséev, étaient déjà propriétaires d’un magasin portant le même nom, rue de Tver (Ulitsa Tverskaya) à Moscou. Ce magasin vendait des produits coloniaux, des épiceries, des fruits exotiques et toutes sortes de produits gastronomiques hauts de gamme.
Le nouveau centre, à St Pétersbourg restera dans la même veine de produits.
La Légende et l’histoire de l'Épicerie Elisséev Saint-Pétersbourg
Tout a commencé le soir de Noël 1812. Pierre Kassatkine, un jardinier-serf du comte Chérémétiev, voulait faire une surprise à son maître pour la Noël. Au moment du dessert, il a apporté à table, des fraises fraîches.
Le comte et ses invités furent très surpris ! Des fraises, en pleine hiver à Moscou ! Impossible !
Comment remercier le jardinier talentueux pour un tel miracle ? Pierre, sans aucune hésitation, a demandé la liberté pour lui et sa femme.
Le comte a tenu parole : il a rendu à Pierre Kassatkine sa liberté et, en plus, il lui a donné une centaine de roubles pour débuter dans sa nouvelle vie.
Nota : En utilisant des approximations basées sur les variations historiques des prix et des salaires, la valeur pourrait être de l’ordre de 200 000 à 300 000 roubles contemporains, soit 2 à 3 000 Euros !
Pierre est parti à Saint-Pétersbourg où il a commencé un petit négoce : il achetait des oranges, pour les vendre ensuite aux passants sur la perspective Nevsky.
Disposant d’une aptitude extraordinaire pour le commerce, son affaire marchait très bien et un an plus tard, Pierre a pu payer la liberté de son frère qui est venu le rejoindre à Saint Pétersbourg.
Dès que toute la famille fut réunie, les frères ont fondé leur petite société « Partenariat des Frères Elisséev ». Pourquoi Elisséev ? Ils ont pris le prénom de leur père qui s’appelait Elissey (les Elisséevs, cela signifie : les fils d’Elissey).
Les frères ont commencé à louer les services de voiliers marchands pour se faire livrer des fruits et produits exotiques et des vins, à Saint-Pétersbourg.
Le premier petit magasin des frères Elisséev impressionnait les habitants de la capitale par les fruits rares et un large assortiment de vins français, espagnol et portugais, pour charmer les palais les plus fins de l’Empire.
Les familles nobles et même les empereurs russes étaient leurs clients fidèles !
En 1902, la famille Elisséev était considérée comme l’une des plus riches et les plus prospère de Saint Pétersbourg !
C’était le bon moment pour construire un grand magasin, au cœur de la capitale de l’Empire, sur la perspective Nevsky, là où Pierre vendait ses oranges, quelques années plus tôt.
Ce sont les fils, Grigory et Stépan en 1857 qui créent la maison de commerce « Les frères Eliseev » avec un capital de près de 8 millions de roubles.
Rapidement la société fut largement connue en Europe, et les Elisséev ont collaboré avec de grandes maisons de commerce en Angleterre, Allemagne et Italie et aussi avec des caves réputées de l’île de Madère et de Bordeaux.
La compagnie Elisséev excellait dans la vente de café, pâtisseries et fromages, en plus de ses spécialités traditionnelles de vins et fruits exotiques.
Après la mort de Pierre en 1892, la société fut dirigée par son fils Grigory.
Mais avant la révolution de 1917 Grigory quitte la Russie, et s’installe en France, où il vécut une longue vie et mourut en 1949.
C’est à Grigory qu’est venue l’idée de créer une grande marque d’épicerie et de magasins.
Elisséev dans sa splendeur
Architecture :
Le magasin "Épicerie Elisséev Saint-Pétersbourg" sur Nevsky est une pièce maîtresse de l’architecture Art Nouveau. Grande façade vitrée, sculptures audacieuses, et des décorations – l’ensemble est aussi exubérant que les produits qu’on y vendait.
Le bâtiment contraste résolument par rapport aux façades classiques de la perspective Nevski.
Tout dans cette construction, visait à attirer l’attention des acheteurs potentiels, par la luxuriance et l’usage de décors inhabituels dans les thèmes de la nature végétale et de la femme, et par l’usage de matériaux de construction tels que la pierre, le métal et le verre.
Tout d’abord, de loin, on remarque la façade ornée de sculptures vertes en bronze, qui symbolisent les valeurs fondamentales d’une société ouverte, du début du XXe siècle, figures allégoriques de l'activité de la ville, à la fois port marchand et capitale russe des arts et de la culture.
Du côté de la petite rue : « L’Industrie », « Le Commerce », et du côté de l'avenue : « Les Arts » et « Les Sciences », sculptures dues au sculpteur estonien Amandus Adamson (1855-1929).
"Le Commerce", est représenté par le dieu Mercure, le saint patron du profit et de la richesse (parce qu’un dieu du commerce, ça motive à dépenser). Aux pieds de Mercure est placée une ancre, symbole de la conquête des routes maritimes.
L'ancre n'était pas un symbole accidentel pour la dynastie marchande des Eliseev - afin de maintenir le volume du transport de vin, les Eliseev ont acheté des navires, fondé leur propre flotte marchande et leur compagnie maritime.
Les dessous du Commerce ?
La Face Trouble du Commerce ?
Photo: Alex 'Florstein' Fedorov
« Les Sciences" et "L’Art" sont représentés sous des formes féminines. La science tient un crayon et un cahier, et l'art tient une palette.
Drapées de savoir et de sagesse, la Scientif et l’Artiste
Pour « L’Industrie », l’allégorie de la construction navale et des dernières réalisations de l'architecture, est représentée par la figure d'un artisan en tablier, tenant une maquette de navire.
Le Petit boude, c’est lui qui voulait la maquette du joli bâto !
En vous approchant du bâtiment, vous serez charmés par sa célèbre vitrine et ses marionnettes animées, issues du conte de fées « Casse-Noisette ».
La Vitrine animée
Automates et attractions pour potentiels clients
Pendant La Période Soviétique :
Le grand magasin a accueilli un restaurant, une banque russo-chinoise, une boutique de prêteur sur gages, des cours de comptabilité, des appartements et une salle de concert, occupée par un Théâtre depuis 1929.
Ce théâtre satirique ouvrit au deuxième étage. Il fut renommé Théâtre de la Comédie en 1931. Il s'appelle aujourd'hui Théâtre de la Comédie ou Théâtre Akimov et fonctionne toujours.
La maison des frères Elisséev s’est transformée en Gastronom (Épicerie) N°1 de 1917 à 1991, à l'instar de l’établissement de Moscou, mais les habitants de Léningrad ont continué à l'appeler Elisséev. (Voir Article : "Les Magasins officiels en URSS")
Le magasin a également conservé son statut élitiste même pendant l’ère soviétique, puisque l’on réussissait à y trouver des articles déficitaires.
Le 24 juin 1941, juste après le commencement de la Grande Guerre patriotique, l’agence d’information de l’Union soviétique (TASS) a placé des affiches de propagande sur les fenêtres du grand magasin Elisséev, incitant les citoyens à la défense de la patrie.
Le Magasin à la « Belle » époque soviétique
La Décoration Intérieure de Nos Jours :
Le Magasin pour vous servir
Le bâtiment abrite toujours cette épicerie de luxe et s'appelle toujours Elisséev malgré les tempêtes de l'histoire du 20ème siècle.
L’enseigne historique du grand magasin a été rétablie en 1993.
En 2007, la boutique a fermé pour cause de travaux. Son ouverture, après rénovation, a eu lieu en 2012 pour les fêtes du Nouvel An et les vitrines étaient à nouveau décorées comme aux temps anciens, prêtes à accueillir une nouvelle génération de gourmands et de curieux.
L'intérieur du bâtiment est un exemple des mieux préservés du style Art nouveau européen, et ce style moderne au décor luxueux, attirait une clientèle fortunée et, jusqu’à nos jours, suscite l’intérêt des habitants de la ville et des touristes.
En entrant dans le magasin, on se retrouve plongés dans l’atmosphère du début du 20ème siècle : de lourds lustres en cristal, des ornements végétaux dorés, de grands miroirs, des meubles anciens en chêne et un immense palmier au centre de la salle, sous les feuilles duquel les gens s’installent pour boire un verre de champagne, caressés par la musique du piano mécanique.
Ici, pas de lignes droites, pas d’agressivité, tout est en nuances et en courbes, en galbes et teintes discrètes.
Le Piano mécanique trône au centre de la salle
Un ornement formé de tournesols dorés se developpe au plafond et constitue le décor d'un petit balcon au deuxième étage.
Auparavant, ce balcon menait à une salle de réception et au bureau de Grigory Elisséev.
A l’ombre du Palmier-Ananas pour prendre un verre
Le centre du hall du magasin est décoré d'un immense palmier-ananas, qui fut installé en 2012, en référence au début des activités commerciales des Elisséev, lorsqu'ils se concentraient sur les fruits exotiques.
L’Ananas pour les nice Nanas de Pétersbourg
Aujourd’hui, dans le magasin, six départements présentent des spécialités du monde entier (fromages, charcuteries, bonbons, vins, etc.), ainsi que des produits de production locale.
On peut aussi y passer un moment agréable dans le restaurant de haute cuisine russe.
Amoncellement de Denrées, la grande Bouffe
Sur la façade on peut voir la petite statue d'un chat que les Pétersbourgeois ont aussitôt baptisé Élysée (Elisseï en russe).
L’édifice héberge, outre l’épicerie, un musée dédié aux marchands Elisséev, que vous pouvez visiter, un restaurant et le théâtre Akimov.
Entrée du Théâtre sur la Perspective Nevsky
Aujourd’hui, l’Épicerie Elisséev est bien plus qu’un magasin. C’est un lieu emblématique de Saint-Pétersbourg, un véritable musée du bon goût (littéralement). On y vient pour admirer l’architecture, s’émerveiller des intérieurs somptueux, et bien sûr, pour s’y délecter d’un choix unique de produits.
Un endroit où l’histoire et la gourmandise se rencontrent, et où le luxe semble avoir trouvé sa maison.
L’épicerie Elisséev est un magasin-musée qui fait rêver petits et grands.
ความคิดเห็น